Paru en 2013 aux Éditions Grasset et récompensé cette
même année avec le Prix Goncourt des Lycéens (et retenu, entre autres, sur la
liste courte de quinze livres en
course pour le Prix Goncourt), « Le quatrième mur » est le récit
saisissant d’un rêve. Même maintenant quand
je suis en train d’écrire cette chronique, je ne peux pas du tout
m’empêcher d’y penser ; tous les événements présentés dans ce roman se
mélangent dans ma tête et forment un tourbillon des sensations diverses. Sorj
Chalandon, reporter de guerre et rédacteur pour « Libé », ayant
visité maintes zones conflictuelles, engage son expérience afin de créer
l’impossible : trouver l’équilibre entre le style concis des
journalistes, nécessaire en définitive pour relater cette histoire, et le style métaphorique
spécifique aux écrivains
Qu’est-ce
qu’on pourrait trouver de plus beau, de plus déchirant que la tentative
courageuse et sublime de quelques jeunes de monter l’Antigone de Jean Anouilh à
Beyrouth ? D’y rassembler ( au milieu de la guerre, des fusils et du sang
qui coule incessamment) un groupe d’acteurs, ennemis dans la vie, « collègues »
pendant deux heures, pour apporter la paix.
Une seule représentation :
le 1 octobre 1982.Ni plus ni moins. Un
rêve. Une utopie capable de percer les murs (même le quatrième, en
l’occurrence), un vrai « trêve poétique ». C’était tout à fait
incroyable. Chalandon combine habilement la narration pure avec la poésie, et
le résultat est exceptionnel ; il existe des moments superbes, comme celui
où, pendant les coups de feu, en attendant la mort, un leader libanais commence
à réciter un poème d’Hugo... Son style est presque impeccable, la guerre est
minutieusement décrite à l’aide de la perception globale : vue, odorat,
ouïe, etc. Les images sont poignantes, elles vous envahissent. La crainte règne
partout et les moments de tranquillité sont encore plus inquiétants. Georges,
le héros du roman, rencontre, à mesure qu’il s’aventure au cœur de Liban, des
personnes inoubliables. Et, en plus, la transformation de ses états d’âme est
presque brutale.
À mon
avis, l’insertion de la pièce de Sophocle dans l’histoire est une merveille,
une astuce de génie. Faire du théâtre parmi les ruines, entourés par tant de
souffrance, essayer de tirer un signale d’alarme, c’est de la vraie folie. Une
folie, quand même, incroyablement touchante, magnifique. Et le début du livre,
sur le fond des manifestations des années
’70 à Paris, est toujours ravissant. Il n’y a pas de place pour les fameuses
brasseries, pour le ciel ensoleillé de Paris, pour la tendresse. L’univers est
dur, il faut se battre pour survivre. Être artiste dans ces temps-là représente
ce qu’il y avait de meilleur chez
les gens. Cela signifiait que la lutte n’allait pas cesser. La lutte pour la liberté.
Ce livre
n’est pas exactement un roman autobiographique. Néanmoins, une certaine
ressemblance entre Sorj et Georges existe sans aucun doute (il suffit de
regarder les noms…). Être acteur de théâtre
ou de guerre – la différence n’est pas si grande. Bien que les atrocités, le
choc, les réactions perçues d’une manière organique, sensorielle, soient
extrêmement détaillés, ce qui reste à la fin du « Quatrième mur » est
l’espoir. L’espoir d’une meilleure vie, d’un monde où « l’amour est plus
fort que la haine ». « Ayez confiance ! », nous dit
Chalandon. Ayons-en !
Victor Morozov - Xème C